Rendez-nous notre lycée !

Publié la première fois le 21 janvier 2009, quelques semaines après la série de blocus observée en France suite à l’annonce de la réforme du lycée de Xavier Darcos.

Chaque année, c’est la même chose : une loi, une réforme, pour des suppressions de postes ou des remaniements de filières. Chaque année, c’est la même chose : des grèves, des manifestations, des dents qui grincent. Mais la mode ces derniers temps, ce sont vraisemblablement les blocus des établissements scolaires. Là, ce sont d’autres dents qui grincent, et de gros problèmes qui se posent : pourquoi le blocus ? Quelle portée pour cet acte ? Quand et où opérer ? Loin de moi l’idée de débattre de l’intérêt de la réforme Darcos — même si, après tout, l’espace commentaire appartient à ceux qui en prennent possession (à l’inverse des lycées, mais on y reviendra) — je voudrais plutôt m’exprimer au sujet des blocus en eux-mêmes. Ne soyez donc pas étonnés de ne pas voir apparaître d’argumentation en faveur ou contre l’une ou l’autre des dernières réformes de l’éducation.

Phylogénie des blocus

Commençons par le début. Qu’est-ce qu’un blocus de lycée ? C’est la fermeture, par un groupe d’étudiants, d’une partie ou de l’intégralité des voies d’accès à un établissement scolaire, dans notre cas public. Il existe, dixit les “organisateurs”, qui n’ont rien de GO, plusieurs types de blocus. Le blocus total se reconnait par l’amas de caddies et de poubelles renversées devant les entrées de l’établissement scolaire, mais aussi par les rangées d’élèves assis en ligne sur les murs de l’enceinte. L’idée est simple : pour montrer qu’on est pas content, on empêche tout le monde de rentrer. Nous reviendrons plus tard sur le bien-fondé d’un tel raisonnement. Le blocus filtrant est plus complexe, il a pour principe de ne laisser entrer qu’une seule catégorie d’élèves ; le blocus filtrant “économique” ne laisse passer que les élèves en filière d’apprentissage, dont le salaire dépend de l’assiduité ; le blocus filtrant “les glandeurs sont excusés” ne laisse entrer que les élèves motivés ; le blocus filtrant “les petits d’abord” ne laisse qu’un léger interstice de passage entre les caddies et la porte, ce qui explique que seul les élèves sans moto ou voiture peuvent rentrer ; enfin, le blocus filtrant “déshabille-toi” ne laisse étrangement passer que les mecs baraqués et les filles bien roulées : on sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher. Restent deux derniers types de blocus : le blocus “temps de pluie”, qui disparaît à 10h, et le blocus “sitting”, avec autorisation de passer si t’as pas peur de marcher sur un ou deux péquenauds.

Le blocus, une prise d’otages

Bloquer un lycée, c’est se lever le matin à 4h pour déplacer des poubelles de quartier, voler des caddies à Lidl, faire un petit déj’ devant le bahut, jouer aux cartes et gratter quelques cordes de guitare en attendant 8h. À cette heure fatidique, les élèves arrivent. Les réactions ne se font pas attendre et démarquent clairement les appartenances de chacun aux groupes dont nous parlerons ultérieurement. Les premiers appels-coups de feu “le-lycée-est-bloqué-je-rentre-à-la-maison” résonnent dans l’atmosphère fraîche du matin, mêlés aux cris et bravades des élèves amassés devant le portail. Eux, ce sont les “organisateurs”. Ils surveillent que les poubelles ne soient pas déplacées, que le système de blocus choisi soit appliqué à la lettre, et organisent le “vote”. Le “vote”, c’est la grande blague du matin, celle qui détend l’atmosphère déjà survoltée. Si je mets “vote” entre guillemets, c’est par peur d’une association pernicieuse avec “vote démocratique” synonyme de représentativité. Le concept de ce pâle simulacre de vote est simple : se placer devant le lycée, lieu de siège des bloqueurs, crier qu’on va tous faire un vote, demander aux personnes pour le blocus de rester là où ils sont, et ceux qui sont contre de se mettre sur le côté. Ce genre de vote aboutit 99% du temps à la reconduction du blocus. Mais une étude statistique plus approfondie de l’échantillon de lycéens observés semble nécessaire. Tout d’abord, rappelons-le, les bloqueurs bloquent le lycée, ils sont donc en extrême majorité devant ce lycée. Les personnes qui ne se prononcent pas sont soit rentrées chez elles, soit en train d’attendre ailleurs que la pluie arrive. Les élèves assidus et ceux qui osent se dresser contre l’injustice ont pour la plupart déjà “forcé” le blocus. Guillemets encore une fois, puisque je préférerais l’expression équivalente “sont allés réclamer leur droit à l’éducation”. Mais revenons à nos mathématiques : vous l’aurez compris, nous sommes en présence d’un échantillon non-représentatif. Non-représentatif, et je ne parle même pas des différentes entourloupes que tous les gestionnaires de flux de personnes connaissent — l’utilisation d’un système de vote qui prend en compte le regard de l’autre, le choix de l’emplacement et de l’heure du vote, la machine, croyez-le bien, est parfaitement rodée. Un bref résumé de la situation suffit finalement à en mettre à jour les aberrations : un nombre difficilement estimable d’élèves (mais dans tous les cas inférieur à 200) empêche le reste des étudiants d’un lycée de plus de 1500 élèves de travailler dans des conditions optimales, voire de travailler tout court. Pis encore, le lien de causalité entre réforme jugée dangereuse pour la qualité de l’éducation et choix du blocus comme forme de manifestation est simplement risible : cela revient à empêcher un système scolaire tout entier de fonctionner pour empêcher qu’il fonctionne mal plus tard. La vraie question correspond à la cible d’une telle manœuvre. Sont-ce les membres du gouvernement, observant les événements de loin et avec le recul qui fait défaut sur les barricades, ou les élèves, que l’on prive de semaines entières de cours, qui pâtissent des agissements de quelques soldats œuvrant dans l’intérêt de leurs convictions personnelles, à défaut de le faire dans l’intérêt d’un bien commun fortement discutable ?

Quid de la représentativité ?

Car c’est le maître-mot dans les discussions de trottoirs devant le lycée : la représentativité. Les bloqueurs essaient à tout prix de se l’accaparer, en brandissant mécanismes de vote douteux, calculs et comptages approximatifs, extrapolations malsaines et autres généralisations hasardeuses, mais les faits sont là : comme lors de toute prise de position extrémiste, ils ne la possèdent pas. En revanche, et ça, beaucoup semblent l’oublier, on sait où la trouver, cette représentativité : elle est inscrite dans la constitution de la République Française, et elle s’appelle le suffrage universel direct. Sous ce nom peut-être trop compliqué pour les brandisseurs matinaux de pancartes en carton, se cache une vérité bien simple : malgré l’épopée du CPE et autres suppressions de postes à l’éducation nationale, la France continue de voter à droite. Le 6 mai 2007, la majorité de la population française a choisi le président de la réforme de droite. Les 10 et 17 juin 2007, le peuple français a décidé de donner à ce nouveau président les moyens législatifs de ses opinions. Le 11 janvier 2009, la côte de popularité du président flirtait avec les 50%. La moitié des Français seraient-ils d’accord de manière générale avec la politique de réformes de notre président ? Si seulement les bloqueurs pouvaient se vanter de représenter 50% des lycéens… Pas d’accord avec les réformes ? Manifestez votre mécontentement sans empêcher la majorité de faire ce qu’elle veut : votez. Ce résultat-là, lui, sera représentatif.

Excuses en self-service

Mais le blocus, avant d’être la concrétisation de l’extériorisation des opinions politiques naissantes de quelques jeunes en mal de reconnaissance (les “organisateurs”), sert d’alibi de masse à plusieurs centaines d’élèves (les “glandeurs”) — à qui l’école déplaît pour de multiples raisons, sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir lors d’un prochain article — pour qui un caillebotis et deux badauds en travers de leur chemin suffit pour arborer fièrement l’argument “blocus” en rentrant tout sourire chez eux par le premier bus. Il est à ce propos intéressant d’observer les “pics de motivation” des bloqueurs de lycée : juste avant et après les vacances, ainsi que les jours de gros devoir surveillé. Une fois dépassé le stade du bénéfice du doute, et en considérant la précédemment énoncée variation de soi-disant “motivés” pour bloquer les établissements, on peut déduire que les “glandeurs” forment une majeure part du groupe de bloqueurs. Ils sont d’ailleurs facilement identifiables : devant l’établissement, ils crient comme les autres, mais adaptent leur attitude en fonction de leur interlocuteur, ne savent parfois pas qui est Xavier Darcos (véridique), et ont du mal à savoir eux-mêmes contre quoi ils protestent. Encore un coup dur pour la représentativité. Mais alors, combien sont les “organisateurs” ? Si l’on considère que ce sont ceux qui sont capables de rester dans le froid pendant plus d’une heure, ils sont moins d’une cinquantaine. C’est-à dire au maximum un “vrai” bloqueur pour 30 lycéens. Même G.W Bush représentait plus la population américaine à la fin de son mandat.

Tout ça pour ça ?

Reste une question essentielle : “pourquoi un blocus” ? J’avoue ne pas posséder la réponse, et ce n’est pas faute d’avoir questionné à plusieurs reprises les “organisateurs”. J’ai pu entendre certains “c’est notre seule moyen d’expression, en tant que lycéens” et autres “s’il faut être radicaux pour que les gens s’engagent avec nous, alors nous le serons”, mais je ne vois pas sous quel angle ces deux arguments sont dignes de ce nom. Des moyens d’expression, les bloqueurs en connaissent eux-mêmes d’autres : distribution de tracts, manifestations… Et je leur en montre par la présente encore un nouveau. Quant à la radicalisation du mouvement, l’effet escompté ne peut être atteint de la sorte : une “overdose” de blocus entraîne la grogne des parents, des élèves eux-mêmes, ainsi que des principaux concernés… Lors du dernier mouvement étudiant, contre la réforme Darcos, nous avons pu observer ce phénomène : après avoir acquis le report de la réforme et l’ouverture des négociations, les bloqueurs ont eut les yeux plus gros que le ventre et ont continué à demander toujours plus : disparition totale de la réforme, moins de suppressions de postes… On a alors noté la participation du corps professoral dans un mouvement qui les concerne en premier lieu.

Rendez-nous notre lycée !

Bloqueurs et bloqueuses, glandeurs et glandeuses, les étudiants veulent retourner travailler. Vous avez bien joué à la grève, vous avez bien rigolé, mais maintenant c’est fini. Rendez les caddies à Lidl, les poubelles aux riverains qui n’avaient rien demandé, remettez les palettes dans les chantiers, et permettez à ceux qui le souhaitent d’assurer leur avenir, de la manière qui leur semble la plus judicieuse. Jeunes gens, nous avons perdu, par votre faute, des semaines d’heures de cours. Ne nous infligez pas encore ce que vous vous infligez à vous-même et permettez-nous de continuer à faire ce pour quoi nous venons au lycée chaque matin, le regard plein d’espoir de voir un établissement enfin ouvert et fonctionnel. Messieurs et Mesdames les professeurs, arrêtez de supporter cette vaste fumisterie. Remettons-nous, ensemble, sur le chemin du travail. Arrêtez de nous faire payer pour les erreurs des autres, et poursuivons, quel que soit le nombre d’élèves dans la classe. À tous les jeunes gens censés qui me liront, comprenez que le blocus n’est ni légitime, ni compréhensible, ni acceptable. Acceptez vos erreurs et nous progresserons, ensemble.