L'enseignement secondaire en France, spirale de la médiocrité ?

Publié la première fois le 25 juin 2009, à la fin de ma scolarité dans l’enseignement secondaire français, sous le titre ambigu “L’Éducation Nationale, spirale de la médiocrité ?”.

En sept ans, j’ai traversé, comme une majorité de bacheliers, quatre ans de collège et trois de lycée. Sept ans dans l’enseignement secondaire de la République, et il faut l’avouer, sept ans à observer, plus ou moins passivement, l’incompétence d’un système idéaliste. Ses symptômes ? Irréalisme, inefficacité, paresse, hypocrisie.

Mais avant d’expliquer davantage les raisons qui poussent un jeune de 17 ans en vacances à coucher son amertume sur le papier au lieu de profiter de ses vacances d’été bien méritées, procédons à un récapitulatif des faits, ma scolarité en quelques mots. J’omettrai volontairement tout ce qui se situe avant le collège, n’ayant que des souvenirs parcellaires de la maternelle et considérant avoir été épargné des déviances du système scolaire français grâce à mes professeurs alsaciens de CM1 et CM2 — si quelqu’un voit encore Mme Schmitt, dites-lui que je la remercie de son travail, d’avoir été si droite et rigoureuse ; si j’en suis là aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à elle.

Sixième. Intrigué par ce plus grand bahut, amusé par l’appel des 250 sixièmes un par un au mégaphone au lieu d’afficher un listing des classes. Classe perturbée par un mec débile, habillé en tenue de basket et fan d’Eminem et un mec complètement paumé, arborant une ceinture-godemiché dans les vestiaires de la piscine et cassant des œufs dans son sac en cours d’allemand.

Cinquième. Découverte de la physique-chimie et du latin. Classe perturbée par le mec de la ceinture-godemiché et un mythomane de premier ordre.

Quatrième. Classe perturbée par deux mecs débiles habillés en tenue de basket et fan d’Eminem. Ouais, il s’était trouvé un copain.

Troisième. Classe perturbée par une bande de gonzesses dont le rêve était de devenir esthéticiennes de stars à Hollywood. Classe d’allemand perturbée depuis quatre ans, une prof qui ne fait rien pour stopper l’hémorragie. Au bout de quatre ans, la CPE bouge ses fesses et vient nous voir, nous demande pourquoi tout ce bordel plutôt que rien. Premier de ma classe depuis quatre ans, excédé par les perturbateurs, viré trois jours pour avoir répondu que la prof n’avait aucune autorité. Les perturbateurs n’ont pas été inquiétés.

Enseignements : dire fièrement la vraie cause des problèmes quand on nous la demande est puni. Être la cause des problèmes ne l’est pas. Se révolter honnêtement et sincèrement contre les problèmes est puni. Faire chier son monde de manière très hypocrite en restant borderline ne l’est pas. J’ai tout de suite adoré.

Il a été intéressant d’observer combien ces — à première vue dégoûtants — enseignements se sont révélés exacts dans les années qui suivirent, à savoir au lycée. Non seulement je n’ai eu de cesse de mettre à l’essai la protestation borderline, en remarquant que le travail de sape et la mauvaise foi remportent toujours la victoire, dans toutes les situations, mais j’ai aussi constaté que cette technique pitoyable était utilisée par les plus hauts représentants des institutions scolaires. Une stupéfiante expérience sociétale de plus de sept ans maintenant…

Où l’idéalisme mène à l’obsession de l’irréalisme

Le système scolaire français repose sur une interprétation erronée d’une assomption héritée des principes de la République : l’égalité naturelle entre les individus. Le collège unique en est l’illustration parfaite : les élèves, considérés comme ayant le même droit à l’éducation, sont regroupés ensemble, sans distinction de niveau, dans des classes par conséquent très hétérogènes et à forte tendance divergente. Ici rentrent en jeu les superbes sermons du corps professoral. Les meilleurs élèves tirent les moins bons vers le haut ! Le collège, c’est l’école de la vie, alors même si tu passes une scolarité pourrie, c’est une bonne chose pour toi ! Tu travailleras toujours avec des gens comme ça plus tard.

Pour l’avoir vécu, ces discours sont un tissu d’inepties. Il suffit tout d’abord d’avoir deux yeux et de ne pas être aussi hypocrite que ceux qui profèrent ces idioties pour observer que les hommes ne sont pas égaux par nature. Ils naissent différents physiquement, psychologiquement, et socialement, et évoluent de la même façon. Un bon cours de bio ou un papier de Darwin peut aider sur le sujet ; ce sont d’ailleurs ces différences qui constituent la force d’une espèce animale. L’égalité est un but théorique vers lequel l’État doit faire tendre les élèves, en proposant, par exemple, l’éducation à tous. Mais peindre un cheval blanc avec des rayures noires ne le transforme pas en zèbre, c’est pourquoi il y a, dans toutes les classes que je connais, de grosses différences de niveau.

Sans même faire quelque chose pour ou contre ce phénomène, on reconnait deux attitudes. L’attitude que je qualifierai arbitrairement d’honnête, et qui consiste à dire qu’il y a de trop grandes différences de niveau et qu’il faut faire quelque chose, et l’attitude des parents et du système éducatif actuel, qui consiste, grosso modo, à se bander les yeux, se boucher les oreilles et dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, laissant, voire incitant les élèves en difficultés à accéder aux classes suivantes, accumuler les lacunes et s’effondrer en bout de course, ayant gâché plusieurs années de leur vie dans une filière qui ne leur correspondait pas.

Au niveau des dispositions à prendre pour endiguer cette inondation, c’est connu, quand il n’y a pas de problèmes, on ne cherche pas de solutions, et on s’emmerde pas à prendre des décisions. Pour cela, on s’est doté de lois et d’organismes officiels : les cycles de l’éducation, qui font passer de manière automatique les élèves de cinquième en quatrième, par exemple, et pour bien gérer les situations qui demanderaient plus de dix secondes de réflexion, une commission d’appel qui donne raison à n’importe quel parent qui voudrait que son enfant passe dans la classe suivante. Mais restait un problème. Avec un tel mode de fonctionnement, le niveau des différentes filières a rapidement baissé, et les examens sanctionnaient toujours la fin du collège et du lycée. La solution était pourtant simple ! À la manière de la femme de ménage qui cache ses poussières sous un tapis, on a fait tendre le niveau du brevet vers zéro, puis on a réservé le même sort au baccalauréat, criant à qui veut l’entendre qu’il ne s’agit pas d’un examen sélectif, mais d’une validation des acquis (mais à quoi sert donc le contrôle continu alors ?).

Oui, le système éducatif français, c’est le sacrifice de l’honnêteté au nom d’une égalité qui n’existe que dans les rêves de quelques ministres idéalistes inspirés.

Revenons maintenant à nos citations, que j’ai maintes fois entendu, avec plus ou moins de conviction, dans la bouche de mes professeurs de collège auxquels je confiais mes inquiétudes.

Les meilleurs élèves tirent les moins bons vers le haut. L’erreur consiste à penser que les élèves de niveaux différents vont se rapprocher. Au contraire, prenant conscience de leurs différences, j’ai surtout vu d’une part une sensation de dégoût, et de l’autre une jalousie, toutes deux maquillées par une fausse indifférence. Et si l’on peut penser que la cohabitation entre des élèves ayant des facilités et des élèves en difficulté est un moyen de faire comprendre qu’il existe une multitude de gens différents dans une société et qu’il faut vivre ensemble, je ne voudrais dire qu’une seule chose : mes parents m’avaient appris à respecter les gens qui réussissent moins bien que moi ; mes expériences de collège et de lycée et les problèmes qu’ont engendrés ces différences n’ont cessé de me faire douter de la véracité de cet enseignement.

Le collège, c’est l’école de la vie, alors même si tu passes une scolarité pourrie, c’est une bonne chose pour toi ! Tu travailleras toujours avec des gens comme ça plus tard. Joli retournement de la situation ! Être la cause, par son irréalisme quotidien, des problèmes de la vie collégienne, et dire que c’est pour préparer à la vie, c’est culotté. Pour être honnête, quand je l’ai entendu la première fois, je me suis dit que c’était pas con, et peut-être êtes-vous dans mon cas en ce moment même. Relisez maintenant cette phrase, et pensez que ça reviendrait à saigner chaque jour un malade atteint d’un cancer du poumon en disant que c’est pour le préparer aux atroces souffrances qu’il va endurer jusqu’à sa mort, au lieu d’essayer, même sans y croire, de soigner son cancer.

Ce qui est étonnant, c’est d’observer la grande majorité de professeurs appliquant la fabuleuse technique de l’autruche par rapport à ceux qui ont une vision plus objective de la réalité. Aussi me suis-je demandé si les professeurs croyaient dans leurs propres mensonges. Et il est assez surprenant de voir que certains, dont ceux qui sont passés par le même genre de problèmes que leurs bons élèves, avouent que ce n’est qu’un discours politique dès qu’on leur pose la question.

Exagérant à une ou deux reprises un malaise profond vis-à-vis de ma classe, j’ai eu l’occasion de voir certains professeurs craquer, d’autre ne lâcher que quelques bouts de phrases allant dans mon sens. Et puis il y a les vrais, qui, quoi que l’on fasse, se disent persuadés que leur vision de l’éducation est la meilleure. Les reconnaître est simple : ils refusent le débat et l’introspection, quelques arguments rationnels suffisant habituellement à mettre en pièce le modèle sur lequel ils ont bâti leur rêve d’égalité, ils punissent quand on impose une discussion, et sont souvent absents en cours d’année, dépression oblige.

L’éducation ou comment donner de faux espoirs pour mieux les ruiner

Le problème, dans cette grande débâcle de la non-sélection, c’est qu’elle fait croire aux élèves qu’ils sont capables d’atteindre leurs objectifs, quels qu’ils soient, et quel que soit l’écart entre cet objectif et leurs capacités. Je n’ai rien contre l’idée d’encourager les gens à poursuivre leurs buts, leurs rêves, bien au contraire, c’est le moteur de la motivation, et par extension du progrès. Mais il y a une différence entre donner de l’espoir et donner de faux espoirs, une limite bien trop souvent franchie par le système éducatif. Rendre possible, à une grande majorité d’élèves, l’accession aux filières les plus difficiles, a un double effet : d’abord, faire croire à ces élèves qu’ils ont les capacités pour le faire ; ensuite, comme je l’ai déjà dit, baisser le niveau de la filière, de l’examen, et par corollaire la valeur du diplôme la sanctionnant. Le fait est que l’on ne peut observer ce phénomène sur une courte période. Mais il n’en est pas moins existant : la comparaison de deux annales de bac de 1999 et 2009 pourrait servir de bon exemple, mais observer les différences entre les programmes avant et après 2001 suffit.

Quand arrive l’examen de fin de cycle, on peut distinguer trois types d’élèves : ceux en difficulté, qui ne décrochent pas le diplôme édulcoré, ceux qui ont le niveau requis pour cette version de l’examen et qui le décrochent de justesse, et ceux qui l’obtiennent avec une marge honorable et l’arrière-goût amer de ne pas avoir été poussés à 100% de leurs capacités depuis trop longtemps. Que deviennent-ils ? Les non-diplômés repiquent une année ou changent de filière. Les élèves moyens trébuchent dans le fossé qui les sépare du niveau demandé l’année suivante qui lui, n’a pas ou peu changé. Les très bons élèves s’en sortent tant bien que mal, se considérant enfin comme estimés à leur juste valeur, mais ont bien compris que si on les avait un peu plus poussés précédemment, ils seraient moins en galère maintenant.

D’où ma question. À qui une telle dégénération peut-elle profiter ? Toutes les catégories d’élèves ne sont-elles pas perdantes ? Certes, la France affiche 85% de réussite au Bac, mais quel Bac ? Si l’on parle de ce bout de papier cartonné, l’intérêt est nul en dehors d’une autosatisfaction infondée. Si l’on parle de reconnaissance sociale ou de preuve d’un ensemble de connaissances, le compte n’y est pas. Bac+2 pour être caissière à Carrefour, suis-je le seul à pouvoir faire un pronostic sur la valeur du diplôme si le monde du travail considère que ce n’est pas suffisant pour faire passer des articles devant un laser et compter des pièces de monnaie (et je ne parle pas d’effectuer la soustraction pour le rendu, la machine le fait toute seule) ?

En s’efforçant d’être toujours plus l’école de la vie, l’école n’a-t-elle pas cessé de remplir son but premier, apprendre ? En mentant sur le niveau des élèves afin de conserver de jolies statistiques, n’est-on pas passé à côté du vrai problème, la décadence du niveau des élèves ?

La paranoïa de la discrimination, vecteur d’hypocrisie

La grande chasse à la discrimination est à mes yeux l’une des plus grandes absurdités de notre société. Non pas que la discrimination soit un phénomène positif. Non pas que les discriminations ne me mettent pas hors de moi. Non, ce qui me dérange profondément, ce n’est pas le quoi, c’est le comment. Une impulsion politique, totalement démagogique, et revoilà nos avant-gardistes de l’égalitarisme qui se mettent en tête de traquer les discriminations là où elles n’existent pas.

Et les illustrations sont plus nombreuses que ce que l’on pourrait penser. Prenez par exemple mon idée de tout à l’heure, l’aspect biologiquement positif et essentiel des inégalités. Si vous n’avez rien contre cette idée après y avoir réfléchi, vous me plaisez. Si vous trouvez cette idée totalement fondée et exacte, sachez que nous ne sommes pas nombreux et qu’il faudrait que l’on se reproduise entre nous pour la survie de notre espèce. Sachez, plus sérieusement, qu’exposer ce genre de théorie en public est réprimandé : casser le rêve des moutons de Panurge de l’égalitarisme est puni.

C’est un fait, aborder aujourd’hui un thème tel que la couleur de peau, les différences entre homme et femme ou l’immigration, c’est s’engager sur une pente glissante, et donner un argument un tant soit peu divergent de la morale bien pensante devant un public non conquis, c’est signer son arrêt de mort social et le tendre à la police de la pensée. Faisons un test tout simple. Proposez à une assemblée de gens que vous connaissez au moins de vue une suite de propositions telles que “en moyenne, les noirs sont plus pauvres que les blancs”, “d’un autre côté, le fait que les patrons paient les femmes moins cher s’explique : ils ne veulent pas rémunérer le travail qu’elles ne feront pas en congé maternité ou en congé maladie pour s’occuper des petits” ou encore “l’immigration est un problème, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde”. Comptez maintenant le nombre de fois que l’on vous a traité de raciste, de xénophobe, de machiste et de sexiste, et repensez à ce que vous avez dit.

Le racisme, au sens strict, consiste en la constitution d’une hiérarchie au sein d’une espèce à partir de caractères spécifiques ; au sens large et malheureusement actuel, c’est un vaste et incompréhensible amalgame entre xénophobie, discrimination et ségrégation. À ce titre, la première proposition “en moyenne, les noirs sont plus pauvres que les blancs” n’est ni raciste, ni xénophobe, c’est un fait démontrable statistiquement. Il n’y a pas de généralisation douteuse étant donné le “en moyenne”, et l’erreur d’interprétation vient du manque de formulation politiquement correcte devant “les blancs” et “les noirs”. De même dans la deuxième proposition, une majorité de personnes confondant allègrement “la différence de salaire s’explique” et “la différence de salaire se justifie” ou “la différence de salaire est naturelle”, et dans la dernière proposition, les personnes se révoltant étant en fait contre les tentatives de solution (expulsions et naturalisations) et non contre l’annonce d’un problème.

Bref, on ne voit plus aujourd’hui une quête de l’égalité, mais une traque aux discriminations, ce qui est fondamentalement différent : arracher les mauvaises herbes n’est pas la seule condition nécessaire à l’apparition de jolies plantes. Poussé à son paroxysme, ce phénomène débouche sur la condamnation d’une pseudo ségrégation morale quand on appelle les choses par leur nom : dire “les noirs” ou “les arabes”, c’est mal, même si on veut parler des hommes de couleur noire (notez le politiquement correct, ça passe mieux ?) et des hommes venant de pays arabes. Quand devra-t-on aussi dire “ces insectes de petite taille et de couleur noire” au lieu de “petites fourmis noires” ? C’est insensé.

Vous pourriez croire que je dévie totalement — ce qui, entre nous, est un tantinet le cas — mais cette peur de dire la vérité se retrouve dans notre système éducatif et ses ratées. Mieux, elle en est l’une des principales causes. Nous avons vu que si le niveau des classes baisse, c’est parce que les élèves sont mal orientés, et que si les élèves sont mal orientés, c’est parce les responsables de leur éducation cherchent une égalité qui n’existe pas. Voilà maintenant pourquoi : ils ne peuvent pas dire la vérité sur le niveau des élèves, ou plutôt, ne le veulent pas. Ainsi, pour ne pas passer pour de gros méchants aux yeux des autres, entend-on, lors des conseils de classe “cet élève a de grosses lacunes” au lieu de “cet élève a été mal orienté”, “cet élève est turbulent” au lieu de “indiscipliné” ou encore “ses résultats sont fragiles” au lieu de “ses résultats sont insuffisants”. Et à force de dire les vérités à demi-mot, ce que l’on finit par dire n’a plus rien de vrai. D’un euphémisme ayant pour but de préserver les sensibilités de chacun, on passe au mensonge, puis, quand on refuse d’avouer la véracité de cette déviance, à l’hypocrisie. Qui sait, peut-être entendra-t-on bientôt lors des conseils de classe, un professeur, un trémolo de sincérité dans la voix, dire que le cancre de service a “une grande marge de progression” ?

Professeurs, ne confondez pas estrade et piédestal

Mais parlons-en justement, de ces professeurs, ces êtres étonnants qui se nomment eux-mêmes “corps professoral” pour faire front lorsqu’il faut défendre leurs privilèges dans la rue, et qui se tirent dans les pattes la minute qui suit parce que la photocopieuse est en panne et le café du matin pas prêt.

Il existe, dans une version simplifiée des choses, plusieurs catégories de professeurs. La première distinction évidente pour tout un chacun serait faite entre un professeur intéressant et un professeur ennuyeux. Selon mon expérience personnelle, cette séparation scinde sauf exception la catégorie des professeurs motivés et/ou exerçant ce métier par vocation, et celle des professeurs blasés et/ou s’étant dit vers 20 ans que travailler 18h par semaine et profiter de beaucoup de vacances était un bon plan. N’oublions pas enfin d’évoquer les vieux singes qui feintent de ne pas aimer leur matière et de détester leur métier, mais qui ne manqueraient une heure de cours ou une sortie de fin d’année pour rien au monde ; ces spécimens-là sont rares et habituellement délicieux.

Mais j’aimerais maintenant introduire une distinction moins apparente et pour moi plus importante entre professeurs. Les uns, hautains et insupportables, qui considèrent que leur statut et leur technique imposent le respect, et les autres, certainement plus fins ou simplement moins sûrs d’eux, qui comprennent que le respect des élèves, comme leur admiration ou leur soutien, se mérite, et que devant 30 élèves, rien n’est acquis. Je pense que l’on a tous vécu ça dans notre parcours scolaire : d’un côté un professeur qui avoue volontiers qu’il ne connait pas la réponse à une question et qui promet de se renseigner d’ici le prochain cours, et de l’autre le professeur qui refuse tout dialogue dépassant son niveau de compétence et qui ne conçoit pas que sur 30 élèves de 17 ans, il y ait de grandes chances qu’au moins quelques-uns soient plus calés que lui sur une question en particulier. Celui-là pense habituellement que l’enseignement est basé sur une relation d’autorité, une aberration qui revient à confondre enseignement et éducation.

Sans développer davantage l’estime que j’ai pour cette deuxième catégorie d’enseignants, il serait bon de faire remarquer que c’est le système éducatif entier qui donne une fausse impression à ces professeurs insupportables. Le premier fait édifiant est la sûreté insolente du métier d’enseignant : 12 licenciements par an en France, quelle profession peut se vanter d’en faire autant ? Non pas que les professeurs sont tous bons, non, c’est juste que les mauvais ne sont, à tort, pas remerciés. La raison de ce problème est double : premièrement, le principe selon lequel le travail des fonctionnaires est sûr, avec toute son influence sur l’efficacité générale de ces derniers ; secondement le manque de contrôles et leur inefficacité des plus totales. Les inspecteurs d’académie n’évaluent un professeur qu’une ou deux fois par décennie et préviennent de leur arrivée (prévient-on un automobiliste qu’il va subir un test d’alcoolémie dans 500 mètres ?), permettant souvent arrangements et mises en scène pitoyables. Je préfère ne pas parler des compétences de ces inspecteurs, simplement parce que voir un professeur ni talentueux, ni pédagogue, ni intéressant écoper d’une superbe évaluation suite à une observation de 40 minutes, me met hors de moi. Rien de surprenant néanmoins quand on sait à quel niveau ce système d’évaluation est biaisé et corrompu. Biaisé, car il ne se base pas uniquement sur le mérite et la qualité de l’enseignant, mais aussi sur l’ancienneté et qu’il entretient un rapport étroit avec la progression du salaire. Corrompu, car un contact bien placé à l’académie évite bien des misères, nos trois documentalistes pourront en témoigner !

Je pense en fait qu’un début de solution à tous ces problèmes existe déjà, mais est actuellement rejeté en bloc par le corps enseignant. Certaines écoles et universités américaines le font déjà avec un certain succès, l’idée a récemment fait polémique grâce au lancement du site Note2be, il s’agit de l’évaluation des professeurs par les élèves. Pour moi, ce devrait être fait à titre indicatif et transmis au chef d’établissement et/ou au recteur d’académie une fois par trimestre de manière anonyme. Évidemment, les élèves n’ont ni le recul, ni les compétences nécessaires à l’évaluation sérieuse d’un enseignant, mais une telle démarche permettrait peut-être d’éviter de se trimballer une prof d’anglais désavouée par 95% de ses anciens élèves pendant plus de dix ans, en orientant un tant soit peu les contrôles des inspecteurs vers des cas en particulier…

Attardons-nous de ce fait sur les arguments des enseignants complètement contre un tel système : l’immaturité des élèves et leur manque d’objectivité, résolus par la seule prise en compte d’une prise de position massive des élèves ; le manque des critères d’évaluation, si les professeurs se donnaient la peine de visiter Note2be avant de crier haro, ils verraient que c’est détaillé, complet, simple et efficace ; le manque de sécurisation des données personnelles et l’accès libre à tous les internautes, ce sont des problèmes intrinsèques à Note2be, pas au système de notation par les élèves institutionnalisé dans les collèges, mais surtout lycées.

Fait assez étonnant d’ailleurs, après quelques mois de pratique sur un site bordélique et provocateur comme Note2be, j’observe que contrairement à ce que l’on pourrait croire, les professeurs sévères, mais justes et intéressants, sont les mieux notés, tandis que des professeurs plus proches des élèves, mais moins efficaces en cours, sont moins plébiscités. Comme quoi, finalement, les élèves ne s’y trompent pas ! Paradoxalement, les évaluations foireuses sont majoritairement déposées par des professeurs qui souhaitent démontrer que l’on peut faire n’importe quoi avec ce genre de système…

D’où une question que je vous pose : qui a peur d’être évalué par ses élèves ? Le professeur sympathique et efficace, qui fait son travail, garde un bon contact avec sa classe et mérite une bonne évaluation, ou le professeur inintéressant, voire incompétent, qui pense que de toute façon il a raison parce que c’est lui le chef, et qui s’entend très mal avec ses élèves ?

Prends ce que l’on t’offre et non ce que tu mérites !

Mais, puisque l’on parle d’idéalisme, comment expliquer à un élève que dans la vie, il faut mériter ce que l’on a et le prouver sans cesse, alors que les professeurs de ces élèves ne prouvent eux-mêmes jamais qu’ils méritent leur poste d’enseignant ? C’est simple, grâce au système de carte scolaire, on ne le fait pas. Avec l’appui de l’anti-sélectivité à l’entrée des collèges, des lycées et en leur sein, il devient rapidement clair que l’établissement fréquenté ne dépend pas du niveau de l’élève ou du travail qu’il fournit, mais de son lieu d’habitation. Ainsi crée-t-on des établissements chics et des établissements de banlieue qui, eux, constituent une réelle ségrégation, sur une base financière. Ce n’est pas normal. Si l’école est un moyen de s’en sortir, alors elle doit l’être pour tout le monde et permettre à chacun d’accéder, sur la base du mérite, au meilleur enseignement possible. On se plaint des difficultés dans les banlieues, on se rend compte que les habitants y sont désespérés, enfermés dans un monde dont ils veulent s’échapper. Ne serait-il pas positif, à tous points de vue et pour tout le monde, de faire comprendre aux jeunes des banlieues et aux jeunes bourgeois pourris gâtés que rien n’est perdu d’une part, et que rien n’est acquis d’autre part, et que ce sont ceux d’entre eux qui le mériteront le plus qui auront accès aux établissements les plus prestigieux, quelle que soit leur origine sociale. De la même manière, ne faudrait-il pas rappeler aux élèves installés confortablement dans le circuit du secondaire qu’un manque de travail ou de sérieux leur fera perdre leur place au profit d’un élève plus méritant, et qu’à l’inverse un redoublement de leur ardeur au travail leur permettrait d’accéder à un enseignement plus poussé encore ? Ah, mais j’oubliais, il est vrai que l’on refuse aujourd’hui de considérer qu’il y a des élèves meilleurs que d’autres, des professeurs meilleurs que d’autres et des établissements meilleurs que d’autres. Aujourd’hui, on préfère fermer les yeux et les oreilles et niveler par le bas. C’est vrai que c’est beaucoup plus logique et équitable que de considérer que ceux qui veulent travailler plus peuvent aller plus loin et que ceux qui veulent travailler moins peuvent aller moins vite.

Aussi, il n’existe malheureusement pour un élève de collège ou de lycée qui veut approfondir ou aller plus vite aucune solution en dehors d’une inscription au CNED, d’un travail personnel, ou d’une démarche un peu étrange qui consiste à demander à des professeurs de faire des cours supplémentaires plus ou moins bénévolement. Parce que l’on refuse de classer les élèves par niveau, on limite le potentiel de la jeunesse française, qui ne s’exprime finalement entièrement que dans des structures ultra-sélectives comme les prépas ou les grandes écoles, étant bizarrement — ô miracle — celles qui affichent les meilleurs résultats et qui peuvent se permettre d’avoir 50 élèves par classe. C’est tout de suite plus facile, quand tout le monde travaille au même rythme et est poussé à 100% de ses capacités, quand on base un système sur le fait que la progression est basée sur l’alliance et l’organisation d’élèves ayant les mêmes buts dans une vaste compétition.

Bilan de sept années dans le secondaire

Après sept ans de vie quotidienne dans l’enseignement secondaire français, que retiendrai-je ? Tout d’abord, qu’il est préférable d’être mesquin et hypocrite que franc et méchant ; que les inégalités naturelles sont plus existantes et irrépressibles que ce que je pensais, et que les négliger ou les nier ne mène qu’au désastre ; que l’on fait croire à des enfants et à de jeunes adultes que leur avenir est assuré alors que ce n’est pas le cas dans le monde du travail ; que l’on confie l’avenir de la France à des personnes parfois douteuses et pas ou mal contrôlées ; enfin, que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et que la réussite reste un sacrifice et une bataille personnelle. Libre néanmoins à quiconque d’en tirer d’autres leçons, je l’espère sincèrement moins décevantes.